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Salomé Lamas
Gold and Ashes | REDUX
Fiction | 4k | couleur | 30:0 | Portugal | 2025
Gold and Ashes s’érige sur des dualités d’échelle internes et externes — ontologiques et épistémologiques — qui se reflètent aussi bien dans les personnages que dans le temps et l’espace où se déroule l’action, ou encore dans le monde qu’ils habitent. Le projet est structuré autour d’un plan concret et d’un plan abstrait, en référence à la subjectivité humaine. Le projet met en scène deux actrices. Le plan concret se déroule dans des lieux de tournage qui servent de décor à la narration, avec dialogues directs et action : une mère et sa fille, situées dans le temps présent. Il met en jeu une sphère sociale définie par des modèles de communication complexes et des conventions — la parenté, les quêtes existentielles — tout en soulignant l’artificialité d’une réalité construite : un dessin habité. Le plan abstrait se situe dans un studio de cinéma qui constitue l’arrière-plan d’une narration para-philosophique, faite de monologues et dépourvue d’action : deux entités déconnectées (dont on ignore si elles ont conscience l’une de l’autre), placées dans un temps indéterminé. Ce plan déploie un labyrinthe mental structuré par des dynamiques de pouvoir relationnelles et des émotions humaines conflictuelles — telles que l’histoire de l’humanité et sa relation à la Terre — tout en soulignant les spéculations autour d’articulations symboliques et imaginaires altérées par la perte du social, du politique et du spirituel. Globalement, le projet se déploie autour des systèmes cognitifs, des modèles sociétaux et des paradigmes civilisationnels. Il adopte une approche qui reconnaît l’évolution humaine tout en exposant les limites humaines à suivre les poétiques et les politiques relationnelles de deux grands récits — [a]naturalisme, [anti]éco/[géo]constructivisme — qui nourrissent la mythologie de l’impact humain sur la Terre (l’Anthropocène). Deux perspectives intemporelles l’animent : le progrès et l’apocalypse, interrogeant notre capacité à reconstruire et orienter la Terre loin des désastres socio-écologiques, et montrant ce que signifie considérer la Terre (et l’humanité) comme un devenir irremplaçable — une trajectoire qui ne peut être dupliquée, refaite ou maîtrisée. Gold and Ashes est une exploration puissante de la condition humaine face à la dévastation, reflétant l’engagement continu de Lamas envers des thèmes difficiles et urgents, abordés par des techniques innovantes qui bouleversent souvent les structures narratives traditionnelles — créant des films non linéaires, fragmentés, ou qui retiennent volontairement des informations clés. Cette méthode renforce la dimension parafictionnelle de son travail, car elle reflète la complexité et l’incertitude des événements réels, où la vérité demeure souvent insaisissable. Dans ce projet, elle explore également l’idée de mémoire subjective et de la manière dont les histoires personnelles et collectives se construisent. Par l’usage de la parafiction, elle met en lumière la fluidité de la mémoire et les façons dont les récits sont façonnés par le point de vue de celui qui les raconte, ainsi que par leurs contextes politiques et sociaux. Gold and Ashes symbolise ainsi la dualité entre destruction et résilience : les « cendres » représentent les vestiges de la guerre et de la perte, tandis que l’« or » incarne l’espoir et la force auxquels les survivants s’attachent pour reconstruire leur vie. Lamas utilise son esthétique singulière pour brouiller les frontières entre réalité et fiction, créant une expérience stratifiée et immersive qui invite le spectateur à questionner sa propre compréhension de la vérité, de la mémoire, et de leur impact dans les sphères privée comme publique.
Salomé Lamas a réalisé plus de trente projets, installés et projetés à l’international, aussi bien dans des salles de cinéma que dans des galeries d’art contemporain et des musées. Chacun d’eux donne accès à une réalité sociale différente, le plus souvent caractérisée par son inaccessibilité géographique ou politique. L’intérêt de l’artiste pour des contextes impénétrables, politiquement ambigus, est guidé par le désir et la nécessité de problématiser une réalité qui, autrement, ne serait pas perceptible. Le réseau de relations qui constitue la trame socio-politique de ses projets devient visible à travers des stratégies de représentation, pour lesquelles elle a adopté le terme de « parafiction ». Plutôt que d’adhérer à une signification indéfinie de la parafiction — pour laquelle il n’existe pas de terminologie véritablement établie — elle en propose une expansion et une re-signification. Dans sa pratique artistique, la parafiction peut être lue à la lumière de son préfixe « para- », où l’on rencontre divers effets de déplacement essentiels à sa compréhension. Dérivé du latin, « para- » indique « à côté de, adjacent à, au-delà de, ou distinct de, mais analogue à » ; dans certaines combinaisons, il peut aussi signifier « erroné, irrégulier », renvoyant à une « altération » ou une « modification » ; plus encore, « para- » implique « séparé, défectueux, irrégulier, désordonné, impropre, incorrect, perversion ou simulation ». Ainsi, la parafiction serait une fiction pervertie, altérée, modifiée ou poussée au-delà de son point de référence, plutôt que contenue dans les limites de la catégorie de fiction. Elle peut également être comprise comme une « simulation » de la fiction, désignant une distorsion de la frontière de ce qui est considéré comme fiction, atteignant ce qui se trouve de l’autre côté : le domaine du non-fictionnel ou la quête du « réel ». Autrement dit, au lieu que la fiction soit utilisée pour brouiller la frontière avec le non-fictionnel, elle devient un moyen d’étendre et de transcender ces frontières. Salomé Lamas part du principe que nous n’avons pas accès à une réalité stable. Nous sommes confrontés à un excès de significations, d’interprétations, d’explications, de manipulations, de (dé)constructions et d’évaluations qui composent les récits et les systèmes dans lesquels nous évoluons. Par conséquent, le besoin de s’approprier l’idée de parafiction découle de la question de savoir comment la subjectivité humaine se forme, en s’appuyant sur la psychanalyse, dans le but d’éclairer et d’élargir des concepts tels que le réel (quelque chose d’inaccessible), la réalité, le symbolique et l’imaginaire. Elle en vient ainsi à travailler à la frontière entre fiction et non-fiction, employant la représentation et la formulation d’hypothèses selon certains critères méditatifs et un code déontologique relatif à ce qui est plausible, assumant consciemment la « tâche du traducteur » — comparable à l’illusionnisme — et en repoussant les limites. Dans ce cadre, elle mobilise diverses stratégies non-fictionnelles — recherche ethnographique, expériences de pensée, réflexivité, re-mise en scène, performativité, entre autres — afin d’explorer les limites de la fiction. Cela apparaît dans le développement de sa méthodologie, où l’on trouve différentes manifestations de parafiction, notamment des situations dans lesquelles personnages et récits fictionnels croisent le monde tel que nous l’éprouvons. La combinaison de ces stratégies, au détriment d’autres aspects spéculatifs, forme une sorte d’hypothèse qui maintient un certain degré d’exactitude vis-à-vis de la réalité, tout en en questionnant l’autorité. La parafiction permet ainsi de prendre une convention et de la déconstruire, de la déformer, d’exposer l’impossibilité de fournir une preuve de la vérité, jusqu’à faire naître des doutes quant à sa validité, tout en offrant néanmoins des raisons de la considérer comme plausible. Salomé Lamas problématise les deux versants de la frontière entre mondes historiques et mondes imaginaires, et enregistre comment ils ont évolué dans le temps, considérant la parafiction comme un outil fondamental de traduction pour définir l’identité, le langage et la culture. Elle intensifie, exagère et spécule sur les manières dont le monde devient sensible, en déclenchant des moments révélant leur propre fabrication, dans un contexte de post-vérité exacerbé par la nature technologique et globalisée de notre époque. Révéler cette transformation constitue une entreprise continue et minutieuse, mais aussi spirituelle, capable de relier la sphère individuelle (privée) à la sphère sociale (publique), et d’introduire ainsi de nouvelles informations et perspectives sur notre passé, notre présent et notre futur. Ainsi, tout en ayant conscience de ses limites et de ses contradictions apparentes, la parafiction contribue à donner forme au chaos de la vie et à lui conférer une signification — dans un compromis entre la réalité et sa fictionalisation.